#13 - Le scandale comptable Enron
Enron, ou le scandale comptable qui secoua les Etats-Unis et les marchés boursiers il y a 20 ans. Une histoire incroyable, mais vraie.
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La saga Enron aura marqué les esprits et changé le monde financier à jamais. Son histoire et ses personnages sont incroyables. À l’occasion des 20 ans de la découverte publique de ce scandale, nous vous proposons d’en raconter l’histoire succinctement.
Si vous aimez l'ingénierie financière, ça va vous plaire.
Inspiré du livre (qu’on vous conseille) : “The Smartest Guys in the Room”
1. L’avènement d’un nouveau géant de l'énergie
Enron est fondée en 1985 par Kenneth Lay, homme influent qui conseille le gouvernement sur sa politique énergétique et proche des Bush.
Au départ, il ne s'agit que d'une fusion entre 2 acteurs dans la production, le transport et la vente de gaz.
Mais surfant sur la dérégulation du marché de l'énergie, Enron devient un intermédiaire entre acheteurs et vendeurs, et spécule sur les prix de l'énergie.
Elle se lance dans d'autres activités : vente d'électricité, fibre optique, production d'énergie à l'international...
Puis en 1999, elle crée sa plateforme de trading en ligne qui trade tout : du charbon au papier...
Son chiffre d’affaires triple en 2 ans et devient la 7ème firme US par son CA (100M$).
Il y a alors 2 activités :
• Négoce : permet de fluidifier les acheteurs et vendeurs (courtage classique)
• Assurance : Garantie de vendre/acheter à un prix donné dans le futur sur des contrats à long terme
Et c'est cette dernière activité qui annonce le début du chaos.
2. La manipulation des comptes comme jamais
Sur tous ses contrats, Enron n'est pas transparent (bien que certifiés par le cabinet Andersen, payé gracieusement pour fermer les yeux). C'est une boîte noire.
Les instruments financiers utilisés étaient complexes et novateurs. On va tenter d'en vulgariser quelques-uns :
• Reconnaissance des revenus •
Un marchand reconnaît en CA une vente et en dépense ses frais. Mais un intermédiaire (ex: courtier) ne reconnaît en CA que ses frais.
Cependant, Enron a décidé de reconnaître pour chaque trade, la valeur totale de la transaction...
En bonus, Enron détourna quelques règles comptables pour transformer des prêts en ventes, juste avant la fin d'un trimestre afin de gonfler ses ventes.
Exemple : Vente d'un actif à un tiers, en lui garantissant de lui racheter plus tard..
• Valeur de marché •
Au départ, Enron faisait comme tout le monde : compter en revenu ses ventes de gaz, et en dépense ses frais. Mais l'équipe de trader change la règle, se met à utiliser la règle comptable de "valeur de marché", utilisée que dans les banques/finance.
Cette comptabilité consiste à estimer à la signature du contrat, la valeur actualisée des bénéfices futurs.
Par exemple, sur un contrat d'approvisionnement d'énergie sur 20 ans, Enron va "estimer" les prix futurs du gaz, et ainsi "prévoir" les cash flow que va générer le contrat.
Le réel danger étant que tous les profits sont comptabilisés à la signature, ainsi il faut faire tous les ans plus de contrats pour faire croître ses résultats et satisfaire les actionnaires.
Bien sûr, tout ça a été validé par la SEC...
Exemple : En 2000, un contrat avec un loueur de VHS, pour développer sur 20 ans un service de VOD via le réseau de fibre d'Enron. Après quelques tests, Enron estime que ce deal générera 110m$ de profit.
Blockbuster annulera le projet, mais les profits eux resteront…
• Special Purpose Entities •
Les SPE sont des sociétés "temporaires" créées généralement pour hedger un risque financier. Ces coquilles sont alors financées par l'entreprise, mais pour certaines manipulations, il faut qu'un tiers en ait le contrôle.
On a vu avant qu'Enron prêtait des actifs à des banques en les faisant passer pour des ventes. Mais il a aussi massivement utilisé des SPE pour ce genre de montages, et y cacher des risques financiers pour ne plus les afficher dans ses comptes.
Exemple 1 : En 1999 Enron possédait 65% de EPE et 3 sièges au board. Ne trouvant pas d'acheteur, Enron vend à LJM 13% de EPE et 1 siège au board.
Enron utilise le fait de ne plus avoir +50% du board, pour arrêter de consolider EPE (en perte) dans ses comptes.
Elle en profite même pour valoriser un contrat lié, pour un profit de 65m$ !
Plus tard, Enron rachète la part de LJM pour 3m$ de moins du prix de vente.
LJM touche sa comm, Enron maquille ses comptes. Tout est parfait.
Exemple 2 : En 2000, Enron s'est retrouvée avec 300m$ d'action de NTM. Pour se protéger d'une chute du cours, une nouvelle entité (LJM) est créée par le DF.
Enron y injecte 276m$ d'actions, et LJM s'engage à racheter les actions NTM en utilisant les actions Enron.
Le cours de NTM chute alors de 68% et Enron active la clause. LJM récupère les actions NTM en échange des actions Enron, et par un tour de passe sort un profit via cette transaction...
La particularité étant qu'il les finançait en transférant ses propres actions et instruments financiers. Ainsi, ces SPE ne couvraient absolument pas les risques financiers car dépendent entièrement du prix de l'action Enron, et une chute de cette dernière ferait s'écrouler le château de carte…
3. La chute
Source : Les Echos
Il faut noter que la plupart de ces SPE étaient gérées/créées/financées par des membres de la direction, qui se versent des commissions énormes. Notamment le DF qui propose aux boards de mettre en place ces SPE.
Ces montages ont pu avoir lieu pour plusieurs raisons :
Un nouveau marché en pleine déréglementation et sans règle
Un cabinet d'audit peu regardant, alimenté par un système où l’auditeur est payé très généreusement par la personne qu’elle audit…
Des dirigeants focalisés entièrement sur le prix de l'action
Un Directeur Financier inventif et sans limites, et ayant des choses à prouver.
Mais tout s'arrête fin 2001.
Enron annonce sa première perte trimestrielle depuis 4 ans. La perte est liée à 1M$ de charge exceptionnelle du fond LJM dont nous avions parlé auparavant.
Enron tente de se faire racheter, puis à court de liquidité, déclare faillite.
Source : https://todd-benschneider.com/2015/08/29/enron-collapse-a-case-study-in-audit-failure/
C'est la plus grosse faillite depuis 40 ans. Les 45 000 salariés perdent leurs emplois et leurs retraites (placées majoritairement en titres Enron..).
Le cabinet Andersen ne résiste pas au scandale - il aurait détruit des tonnes de documents compromettants - et de nombreux autres scandales comptables et faillites suivent (Worldcom notamment).
Les 3 principaux acteurs de cette histoire ont été condamnés :
• Le principal dirigeant, Jeffrey Skilling (CEO et à la tête de la branche de trading), vient tout juste de sortir de prison. Il était considéré comme un des hommes les plus brillants de sa génération.
• Ken Lay, le fondateur, est mort d'une crise cardiaque après le verdict. Pendant la période faste de Enron, il était un des hommes les plus influents politiquement des États-Unis.
• Le Directeur Financier, Andrew Fastow, a été lui condamné pour 10 ans. Avec son ambition de réussite, il a pu agir de façon totalement non contrôlée, et est considéré comme la tête pensante derrière les deals les plus complexes, en n’oubliant pas de prendre une commission au passage via des entités détenues directement par lui.
Cet évènement engendrera la nouvelle loi Sarbanes Oxley, imposant de nouvelles règles sur la comptabilité et la transparence financière, et influencera les réformes des normes comptables (IAS IFRS)
📚 La quantité et l'inventivité de tous ces montages financiers sont incroyables. On vous conseille de lire le livre "The smartest guys in the room" pour aller plus en détail et découvrir les personnages hauts en couleur.